samedi 17 novembre 2007

De la victoire sur l'Allemagne nazie à l'Irak

Ce qui suit peut paraitre réchauffé parce que les propos datent d'il y a plus de 2 ans (Mai 2005), mais ca permet de préciser quelques unes de mes idées autour de sujets qui fachent. Il s'agit en fait d'un échange quasi confidentiel avec un journaliste (appelons-le JMC) qui a comme point de départ ses propos autour de la victoire sur les nazis.

Je commence par son article:

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Les 8-9 mai 2005,
la victoire sur l'Allemagne nazie aura 60 ans...

S'en souviendront sans doute les anciens résistants et actuels militants de l'antifascisme. Peut-être même les écoliers des années 60 en Belgique, à l'époque où le 8 mai était encore fêté chez nous, officiellement, et marqué en classe par des débats sur la guerre, la paix, le fascisme.
Qui ne sera pas tenté par le haussement d'épaules à propos d'un anniversaire si lointain et largement "récupéré" par les pouvoirs, vidé de sa substance, de sa portée subversive ? N' y aurait-il pas, du reste, un phénomène de rejet envers le principe même d'une "victoire" construite, il est vrai, au prix du sacrifice de millions de vies humaines ? Ne serait-on tenté, dans le relativisme actuel, de renvoyer dos-à-dos les nazis vaincus et les puissances alliées qui ne lésinèrent pas sur les moyens ? Hiroshima et Nagazaki, le bombardement de Dresde et des populations civiles allemandes, le massacre de Katyn et les déportations de Prusse orientale ou de Pologne n'est certes pas à la gloire des "alliés" ! Les crimes de guerre commis dans le camp antinazi doivent-ils être placés sur une balance d'apothicaires avec les crimes nazis, voire déconsidérer la cause du combat antinazi ? Dans ce cas, les résistances antifascistes auraient à avoir honte pour les décisions américaines de recourir à l'arme atomique, les combattants républicains espagnols seraient discrédités du fait des crimes commis par les leurs, les luttes de libération au Vietnam, en Algérie, à Cuba, contre l'apartheid seraient à leur tour "relativisées". C'est à cette confusion, précisément, que vise le relativisme actuel, très prisé par les héritiers politiques du fascisme, on se demande pourquoi.
Mais la question du rapport à cette Victoire met également en cause notre capacité d'analyse des faits historiques, lorsqu'un certain humanisme consensuel, célébrant les valeurs du pacifisme et des Droits de l'Homme, d'un point de vue qui est celui de nos sociétés relativement pacifiées et repues, tend à juger "moralement" les violences, toutes les violences, et notamment celles du passé, des révolutions, des résistances, des luttes de libération au nom de cette loi divine, "tu ne tueras point", si profondément ancrée comme chacun sait dans la tradition de nos hommes de foi et de loi. A telle enseigne que l'Histoire ne devrait plus inspirer que lamentations autour de la seule figure emblématique de "la Victime".
La tendance à la "victimisation" dans tous les domaines, avec sa surenchère dans les chiffres macabres, n'évacue-t-elle les ACTEURS de l'Histoire de la même façon qu'elle réduit l'Histoire du nazisme - Histoire d'une crise sociale et nationale- aux seuls délires d'Adolf Hitler ? Ah ! cette très utile psychologisation des phénomènes sociaux ! Ce providentiel recours à "l'irrationnel" ! Tellement plus acceptable que les vieux raisonnements "marxistes" sur le fric des industriels versé à Adolf, les voix de la droite nationale (et non de la majorité des Allemands!) pour lui accorder les pleins pouvoirs, le rôle des grandes entreprises privées allemandes (et autres !) dans l'économie nazie que d'aucuns qualifient maintenant de "collectiviste" pour les besoins de l'amalgame !
Krupp, Flick, IG Farben, Siemens, Volkswagen… Ce sont aussi les noms de la barbarie. Mais sûrement, j'en oublie…

En 1945, donc, les peuples d'Europe, d'Amérique et de l'ex-Union soviétique appartenant au "camp des vainqueurs" étaient- en grande partie du moins- réunis dans la joie commune d'avoir écrasé "la bête immonde" et dans les espoirs de changements sociaux et démocratiques que soulevait la libération d'un bout à l'autre du continent. Les dirigeants des états de la coalition anti-hitlérienne étaient même, sincèrement ou non, "en phase" avec cette allégresse et ces espérances. Paris, Bruxelles, Londres, Washington acclamaient l'armée rouge (et Staline s'il vous plaît !) et les peuples soviétiques qui avaient porté le fardeau principal de l'épreuve: on sait aujourd'hui que 26 à 27 millions de Soviétiques y ont laissé leur vie, soit plus de la moitié des victimes de cette guerre.
Soixante ans plus tard, ces vérités-là sont oubliées ou n'ont jamais été connues - il suffirait de questionner des écoliers ou des étudiants pour s'en rendre compte ! La lecture que donnent les médias de cette période, des "débarquements" en Normandie et ailleurs, des libérations, contribue à occulter ou à minimiser le rôle joué par l'URSS, les communistes, les résistances.
A ce massacre de la mémoire et de l'Histoire participent nombre d'intellectuels de gauche et d'extrême-gauche qui, pour diverses raisons, préfèrent ne plus en entendre parler ou qui, évoquant la bataille de Stalingrad, la prise de Berlin ou les "résistances antisoviétiques" nationalistes alliées à l'Allemagne nazie, sont portés désormais à mettre en accusation "les crimes du communisme" ou à renvoyer dos-à-dos Hitler et Staline. La "nouvelle Russie", elle aussi mobilisée par ses médias libéraux, depuis 1991, dans la dénonciation du communisme, célébrera néanmoins le combat et la Victoire de 1945. Les traumatismes de cette guerre impitoyable y sont encore trop profonds, la mémoire encore trop vive, et certes dûment entretenue, les raisons politiques de tirer "fierté nationale" de la Victoire sont évidentes, dans un pays qui n'a pas à tirer gloire de ce qui est arrivé depuis la dislocation de l'URSS.
D'autres pays, d'autres gens profondément engagés dans les résistances seront au rendez-vous: l'ex-Yougoslavie, la Biélorussie qui fut "la république des partisans", l'Ukraine qui eut à subir le génocide nazi "assisté" par les fascistes locaux, la Grèce et l'Italie antifascistes.
Mais le reste du monde ne sera pas au diapason. L'ONU a fait des 8 et 9 mai 2005 des journées de "mémoire et réconciliation". Mémoire de quoi et réconciliation de qui ? La "réconciliation" entre les peuples, avec l'Allemagne, est à priori une cause sympathique. Mais quel besoin de "se réconcilier" avec les grandes firmes allemandes qui ont servi Hitler, exploité les esclaves des camps, fabriqué les gaz d'Auschwitz, alors qu'il serait tellement plus simple, et plus "sain", de rappeller la solidarité qui unissait, face à Hitler, les antifascistes allemands et de toute l'Europe ? Si "la réconciliation" consiste justement à faire oublier cette solidarité, à honorer, comme à Berlin aujourd'hui, non plus les victimes du nazisme et les combattants antinazis, mais à honorer, sous couvert d'un pacifisme confusionniste, "toutes les victimes des guerres" , et en général seulement des VICTIMES, et non des RESISTANCES, il y aurait là une manipulation de la mémoire visant, me semble-t-il, à extraire le nazisme de son Histoire, à occulter les résistances de l'époque, à décourager les résistances d'aujourd'hui . On peut comprendre les raisons anciennes et actuelles de cette attitude. L'Allemagne actuelle ne peut se réclamer, comme le faisait l'ex-RDA, de la tradition antifasciste. Et il n'y a pas que l'Allemagne ! Il faut rappeler que les oeuvres nazies sur le front de l'Est ont été "assistées" par les alliés nationalistes du nazisme, des fascistes hongrois, roumains, italiens, espagnols, par les légions SS des pays baltes, de Galicie (Ukraine occidentale), de France, de Flandre, de Wallonie, de toute l'Europe. Or, non seulement cette dimension "européenne" du génocide nazi est oubliée, mais les héritiers plus ou moins avoués de ces mouvements relèvent la tête à la faveur de la dislocation de l'URSS. Les cercles néonazis et les post-fascistes s'emploient, de la Flandre à l'Ukraine, en passant par les pays baltes et bien d'autres lieux de collaboration active avec le nazisme, à REHABILITER les anciens SS, et les nationalismes locaux qui leur ont prêté main forte.
Plus subtils, et davantage dans l'air du temps, des "héritiers" des droites nationales qui ont servi ou sympathisé avec le fascisme et le nazisme - rappelons-nous que l'hostilité au judéo-bolchévisme était au goût du jour dans nos bonnes bourgeoisies européennes des années 30 - se servent du discrédit des idéologies communiste et soviétique pour disqualifier tout ce qu'elles ont pu dire à ce sujet - y compris ce qu'elles disaient de vrai - et pour relativiser les choses au nom du combat d'actualité "contre les totalitarismes". Peu à peu s'insinue le thème favori de l'historien allemand révisionniste Nolte sur "la guerre civile européenne", l'Allemagne nazie apparaissant comme un rempart contre la barbarie bolchévique, hélas certes un mauvais rempart.
Nous savons aussi que beaucoup d'anciens nazis et collaborateurs des pays de l'Est ont été recyclés pour les besoins de la guerre froide après 1945. On connaît les exploits du réseau Gehlen, du Vatican, de la CIA dans ce domaine. Les anciens SS et d'autres collaborateurs des occupants nazis ont été évacués en masse, en 1944-45, fuyant l'avancée de l'armée rouge. Ils ont joué par la suite un rôle important dans leurs diasporas , où ils ont été recyclés par les Etats-Unis dans les officines de la guerre froide - en partie les mêmes qui s'activent aujourd'hui dans les déstabilisations géopolitiques des régimes "dérangeants" de l'ex-bloc socialiste.
On comprend mieux, dans ce contexte, que la "Victoire de 1945" n'ait plus très bonne presse. Et que des appels à la boycotter surgissent dans tels milieux dirigeants baltes…ou dans les rangs du Parlement européen !
D'une part, il n'est plus de bon ton de rappeler l'alliance avec l'URSS et le rôle des communistes dans les résistances. D'autre part, il n'est pas souhaitable de rappeler que le fascisme et le nazisme n'ont pas été seulement des "accès de folie" mais le produit d'une Histoire, de crises sociales et nationales, de choix politiques des classes dirigeantes. Cela risquerait d'éclairer les processus actuels de résurgence de l'extrême-droite, du racisme et de la xénophobie, des politiques de remises en question des libertés et des acquis sociaux...de 1945 ! Et il est moins "actuel" que jamais de suggérer aux jeunes générations que l'acte de refus et de résistance, posé par des millions de femmes et d'hommes dans les pires années du nazisme, serait encore concevable aujourd'hui, face aux guerres impérialistes, aux pillages économiques, aux massacres de civils qui, dans diverses partie du monde, reproduisent la lettre sinon l'esprit du fascisme.
Ceux qui entendent rester fidèles à la Résistance et au combat antifasciste, aux valeurs de refus de la barbarie qu'elles incarnèrent ou plus simplement à la mémoire et à l'Histoire doivent se poser la question : est-il acceptable que les journées des 8-9 mai, anniversaires de la capitulation nazie, que les luttes et la victoire remportées sur l'Internationale brune et noire soient édulcorées, vidées de leur substance, occultées, voire dénaturées et discréditées ?
Ce n'est pas acceptable, et il faudrait, de diverses façons, le faire savoir, préserver l'héritage antifasciste, transmettre la mémoire. Faisons-le.

J-M C


* pour mémoire, la date du 9 mai est retenue en URSS plutôt que le 8 mai, en raison du décalage horaire au moment de la signature de l'acte de capitulation allemande.

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Et voici ma réponse :

Je partage entièrement ton indignation devant l’oubli manifestement fréquent du sacrifice des 20 à 30 millions de Soviétiques qui a réellement permis d’abattre le nazisme, sacrifice d’autant plus cruel qu’il est occulté par celui médiatiquement beaucoup plus ressassé des quelques milliers de Gis tombés sur les plages de Normandie, j’en conviens sans ambages…Je ne peux ni ne veux ignorer ni le bushisme ambiant ni les méthodes de l’empire américain, ni non plus l’effet anesthésiant de certaine forme de relativisme que tu dénonces, mais justement c’est peut-être bien en relativisant certaines choses, en en mettant d’autres en perspective, que l’on pourra progresser dans la compréhension de ce qui s’est passé hier, et peut-être aussi dans l’analyse de ce qui se passe aujourd’hui. Pour moi ce serait une erreur grave que de renoncer à revisiter les « faits » historiques et c’est bien évidemment l’Histoire en marche qui induit que la portée du regard change. Le fait que cette réflexivité ne se fasse pas dans le sens attendu par tous les héritiers du marxisme ne devrait pas demeurer un obstacle à ses effets de vérité, pour autant qu’on veuille bien s’octroyer le recul nécessaire.

C’est pourquoi je te suis moins dans ton opposition à tout relativisme historique. Non pas que je veuille diminuer en quoi que ce soit les dimensions de l’horreur nazie, mais à te lire on pourrait presque croire que le principe même de la lutte contre le nazisme donne carte blanche à tous ceux qui l’ont combattu, ce que je contesterai par quelques exemples choisis du relativisme que je revendique, sous forme de questions, ci-dessous.

Pourquoi ne pas s’interroger sur le massacre de Katyn ? Que ce dernier ait été utilisé par la propagande nazie et nié pendant des décennies par l’orthodoxie communiste suffit-il à en diminuer la réalité ? Pour moi, rien – pas même Auschwitz – ne permettra jamais de justifier Katyn, qui lui est d’ailleurs antérieur. Et rien ne permettra jamais de justifier les camps de Sibérie… Pourquoi refuser de voir que dans un cas comme dans l’autre c’est l’impitoyable volonté de puissance d’un dictateur qui s’affirme ? Qu’Hitler et Staline, ces deux rebus du genre humain, aient été dévorés de la même soif de pouvoir ne veut pas dire que le soviétisme, et a fortiori le communisme, soit à confondre avec le nazisme, même si ces derniers diffèrent d’avantage par leurs visées que par leur pratique. Et puis, justifier un crime par un autre, c’est avant tout faire un discours aux asticots…

Qu’est-ce qui justifiait l’embrasement des populations civiles par les alliés quand on sait que les bombardements massifs des villes allemandes n’ont eu qu’une incidence marginale sur la production de guerre, et n’ont fait que renforcer la portée du jusqu’au-boutisme de la propagande de Goebbels chez ceux qui leur survivaient ? N’était-ce pas là plutôt quelque chose de beaucoup plus primitif, de l’ordre d’une manifestation brute de l’essence primaire de la guerre, où la satisfaction bestiale d’infliger aveuglement la souffrance et la destruction prime sur la rationalité d’une véritable efficacité militaire ? D’ailleurs, les Américains faisaient-ils autre chose au Nord Vietnam ? Ont-ils fait autre chose plus récemment par leurs bombardements en Irak ? Le blanc-seing moral donné aux bombardements massifs d’hier ne sert-il pas de justificatif à ceux d’aujourd’hui, sous couvert du slogan « Saddam c’est Hitler » ?

Quant à la grande solidarité alliée…comment ne pas voir que TOUS les alliés se foutaient pas mal de ce qui se passait dans les camps ? Ne pouvaient-ils ne serait-ce que bombarder les voies d’accès pour en ralentir le fonctionnement ? Certains raids sur des villes, d’un intérêt plus que douteux d’un point de vue stratégique, utilisèrent près d’un millier de bombardiers. N’aurait-on pas pu en utiliser ne serait-ce que 10% pour détruire les voies ferrées menant à l’holocauste que l’on savait exister au moment où ces raids ont eu lieu ?

A propos de la soi-disant fraternité alliée encore : comment ne pas remarquer que Staline ait tranquillement attendu aux portes de Varsovie que l’insurrection soit écrasée par les Nazis pour intervenir ? Comment ne pas s’étonner que le conflit devienne nucléaire au moment précis de l’entrée en guerre de l’URSS contre le Japon ?

Autour des races supérieures: pourquoi ignorer que la libératrice Amérique blanche ne toléra pas que ses noirs réquisitionnés portent les armes contre le nazisme, allant jusqu’à réglementer les contacts des bidasses noirs avec les populations européennes, par souci de ne pas ternir l’image bienfaitrice de l’armée US ? Un nègre photographié avec une blanche, une insupportable perspective de propagande nazie ? Pour ne pas désespérer Billancourt prêt à passer au communisme, version US d’alors ?

Et puis aussi, question de perspective, comment ne pas s’indigner que les Français à peine libérés en métropole se sentent obligés de redorer le blason de leur fierté nationale bafouée en appliquant avec entrain sur tout ce qui refuse leur joug en Algérie, à Madagascar et ailleurs, les méthodes gestapistes et racistes qu’ils viennent de subir ? Non pas sur des Untermenschen bien sur, juste sur des concitoyens incultes et de seconde zone qui refusaient sans doute de se voir offrir les lumières de la République…et il aura fallu attendre 10 ans de plus que des Français de souche meurent sous la torture pour que l’opinion commence à s’émouvoir. Je salue au passage le courage de ces communistes là qui ont été jusqu’au sacrifice ultime pour un peu de justice…

Je crois au contraire qu’un relativisme historique est salutaire, le nazisme comme le reste est un produit de son temps, ce qui n’est pas toujours facile à voir vu le caractère à la fois d’extériorité et de mal absolu qu’il incarne dans l’imaginaire collectif… tout comme est très relatif le concept de solidarité anti-fasciste, solidarité de façade quand on se rappelle le pacte Molotov-von Ribbentrop ou que Churchill souhaitait continuer la guerre contre l’URSS… C’était bien là-dessus qu’Hitler avait misé pour s’en sortir : la guerre froide lui aura presque donné raison !

Maintenant, s’il est probable que des industriels allemands ont financé Hitler et s’il est incontestable qu’une partie de la droite nationale lui a effectivement remis les clefs du pouvoir (Hitler n’a jamais eu une majorité absolue, et moins de voix en 1933 qu’en 1931 si ma mémoire ne me fait pas défaut), le fascisme ne s’est pas construit tout seul ex-nihil, et n’a pas été non plus une exclusivité d’outre-Rhin, même s’il est indéniable que c’est la discipline et la technique allemande qui a porté ses effets le plus loin dans l’horreur. Tu as probablement raison sur les noms de la barbarie que tu cites (Krupp, Flick, Siemens,…j’avoue une connaissance limitée de la question) mais je ne crois pas un seul instant que les acteurs du nazisme se limitent aux seuls détenteurs de capitaux qui ont financé Hitler. Car après tout, le fascisme désirait les masses autant que les masses désiraient le fascisme, et les enfantements monstrueux de ces amours réciproques ne se limitèrent pas à l’Allemagne ou à l’Italie (voir à ce sujet l’excellent « Le Mythe de l’Allergie Française au Fascisme » édité par Michel Dobry qui donne de nombreux exemples précis) : des Croix de Feux au PSF en passant par l’Action Française, les puanteurs nationalistes, antisémites et antiparlementaires n’auront pas attendu que la Kommandantur soit installée sur la place du village pour empester l’atmosphère, on l’oublie un peu trop vite en dehors de l’Allemagne, et particulièrement en France (Chirac mis à part ).

Quant au parallèle entre le fascisme, pris au sens large, et la situation que nous vivons aujourd’hui, bien que je sois sur le fond de la question assez d’accord pour le tracer, je commencerai d’abord par m’en distancier en soulignant là où je vois une différence.

Avant tout, utiliser le mot « fascisme » pour décrire ce qui se passe en Irak ou aux Etats-Unis me parait inapproprié, c’est s’encombrer inutilement de concepts lourds, un peu comme s’il y avait lieu de grossir le trait : pourquoi ne pas considérer Bush et sa clique tout simplement pour ce qu’ils sont, c.-à-d. des menteurs, des voleurs et des assassins ? Et puis, en ce qui concerne l’Irak, le concept d’impérialisme me parait amplement suffisant pour décrire ce qui s’est passé, à savoir l’appropriation brutale et violente de ce que d’autres (Chine, Europe) convoitaient plus pacifiquement, ce qui entre parenthèse n’a pas grand-chose à voir avec le libéralisme économique, puisqu ‘il s’agissait ici avant tout d’éliminer toute possibilité de concurrence et non promouvoir cette dernière, ce que le larbin anglais a appris à ses dépends, fin de la parenthèse. Ensuite, pour ce qui est de l’Amérique elle-même, évoquer le concept de fascisme laisse entendre, dans l’acceptation traditionnelle du terme, une usurpation militaire du pouvoir pour un temps indéfini, ce qui n’est aucunement le cas ici, car si l’on peut légitimement avoir des doutes sur la première élection de Bush, ces derniers n’ont plus lieu d’être pour la plus récente. Incontestablement le peuple US a fait son choix, qui est celui des coups de trique, pour lui même et pour ceux qui tombent sous sa botte.

Je pense que si l’on veut avancer un peu, il faut une bonne fois pour toutes arrêter de se contenter du schéma simpliste d’un pouvoir imposé par en haut contre la volonté du peuple: Fox News ou pas, le bushisme, ce fondamentalo-populisme, est une émanation du peuple américain, de sa psychologie, de ses aspirations, de sa morale, de ses désirs, de ses craintes, de ses croyances, de ses valeurs. Et comment ne pas être ému par tant de vertu ? N’est-ce pas aux Etats-Unis d’Amérique qu’un président a failli être destitué pour avoir dissimulé la nature intime de ses relations avec une stagiaire ? Il aurait même poussé le vice à mentir pour s’en défendre, a-t-on pu lire un peu partout… Evidemment, de mauvais esprits dont je fais partie feront remarquer que la gravité d’un mensonge est fonction de son objet - ce qui en dit long sur les valeurs de l’Amérique - et que la mémoire du peuple est étrangement sélective, feignant d’oublier à l’occasion que les avions qui ont percuté les tours du WTC ont été détournés par des Saoudiens et non par des Irakiens ou que le danger planétaire imminent des AMDs était un gros bobard, une construction de rhétorique pure, cynique opération de propagande planétaire montée de toute pièce par le lobby du pétrole et de l’armement pour justifier l’opportunité d’une guerre. Mais le peuple américain n’aime pas se poser trop de questions, craint le doute et se moque des intellectuels. Le peuple américain a eu peur. Le peuple américain a voulu être rassuré. Le peuple américain a voulu se voir fort. Le peuple américain a eu besoin de vengeance. Le peuple américain a souhaité voir couler du sang arabe. Le peuple souverain a choisi Bush en toute connaissance de cause.

C’est pourquoi la réponse claire du reste du monde au peuple américain doit être : US GO HOME.

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Postscénium : l’offrande au bushisme

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Corpus Christi, made in Texas. Preuve en main et sourire aux lèvres, la fierté rayonnante de la mission accomplie pour un couple d’Américains résolument dans l’air du temps. Comme quoi Mel Gibson n’est pas seul à se vautrer dans la fange sado-maso d’un spectacle gore. Et on aurait tort, à contempler ce genre de rituel, de s’en tenir à la seule brutalité de l’empire pour en arriver à négliger la foi profonde de l’Amérique en l’inaltérable supériorité de ses propres valeurs. Il s’agit de se donner des mesures tangibles dans l’accomplissement réalisé de sa croisade du Bien contre le Mal, jalons de sa mission civilisatrice sous forme de liturgie moderne. Images pieuses d’un catéchisme revigoré destinées aux chaumières du Far West, bons points que l’on se partage en douce dans un esprit de communion en préambule au sacre de ‘President Bush’ : osez les regarder bien en face, ce sont ces images là plus que d’autres qui ont suscité sa réélection… On remarquera que l’on se trouve ici du bon coté du rite : civilisé, propre, presque aseptisé, là ou les dents blanches sont brossées tous les matins en vue de l’hostie du dimanche. Et comme si l’épaisseur du verre ne suffisait pas à préserver l’innocence qui les a extraites de son contenu peu ragoûtant - des viscères forcément fétides arrachés à un Irakien de passage - un kleenex double couche vient parfaire l’œuvre civilisatrice dans l’offrande qui en est faite à la gloire de l’Amérique. Alléluia Alléluia ! Dieu est grand, et Bush est son prophète…

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